Page 16 - L'Extension N° 69 / Juin 2019
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                                                « On dirait que

                                         le beau menace  »





             JEAN-FRANÇOIS       Grosse colère de la CPME en Haute-Savoie.   hender ces évolutions. La formation des infirmières, en
                  BESSON         Les patrons locaux ont découvert, en ache-  gestation depuis 30 ans, en est un bel exemple.
                SECRÉTAIRE       tant leur pain, que sur le sac papier remis par   Les travailleurs frontaliers vont donc être de plus en plus
               GÉNÉRAL DU
               GROUPEMENT   le boulanger, se trouve une publicité pour une société   sollicités par la Suisse, à condition d’être qualifiés pour
            TRANSFRONTALIER   de placement à Genève. Une agence qui propose des   occuper les emplois nouveaux à venir. La concurrence
                 EUROPÉEN     emplois dans l’industrie aux titulaires du CAP, du Bac   entre les entreprises, de part et d’autre de la frontière,
               DEPUIS 1992
                          pro et des BTS en mécanique et micromécanique.   va s’accentuer. Pour continuer à attirer les travailleurs
                          L’occasion rêvée pour le syndicat patronal de mobiliser   frontaliers, les entreprises suisses devront, sans doute,
                          les troupes. « La CPME 74 affiche de son côté sa stu-  accroître leurs offres financières. Car, côté français, il
                          péfaction face à une telle audace qui traduit l’état de   en sera de même. Or, les problèmes de transports, le
                          colonie dans laquelle se trouve désormais le départe-  rejet des travailleurs étrangers en Suisse, les temps de
                          ment de la Haute-Savoie vis-à-vis de son voisin gene-  travail plus longs pourraient eux aussi peser dans la
                          vois. Cette situation n’est que la traduction de la fai-  balance.
                          blesse dont fait preuve l’écosystème politique local
                          depuis de nombreuses années face à son homologue   Nos amis suisses doivent aussi comprendre que la
                          genevois. »                                   situation,  côté  français,  a  évolué.  La  Haute-Savoie  a
                                                                        su jouer de ses atouts : économie diversifiée, tourisme
                          Diantre ! La Haute-Savoie colonisée par Genève ! Cu-  hiver / été et présence d’entreprises majeures lui ont
                          rieusement,  c’est  exactement  le même discours  que   permis de retrouver un dynamisme envié. Il faut, bien
                          nous entendons chez nos voisins : Genève colonisée   évidemment ajouter la présence de la Suisse et son
                          par les Haut-Savoyards ! On pourrait presque se croire   attractivité pour des milliers de frontaliers. Le résultat
                          à Clochemerle. La vérité est que le Grand Genève de-  est là, incontournable : en 10 ans, la population a cru
                          vient chaque jour un peu plus une réalité. Alors oui, il   de plus de 10 % et les emplois de 11 % ! Partout, ce ne
                          n’est pas facile pour un entrepreneur de conserver son   sont que grues, chantiers et aménagements de toutes
                          personnel dans un environnement concurrentiel, oui la   sortes.
                          Suisse bénéficie d’une main d’œuvre formée qu’elle   Bien sûr, il y a des effets pervers. Les bouchons se
                          n’a pas payée. Mais oui aussi, la richesse du dépar-  multiplient : les transports collectifs, déjà à la peine, ne
                          tement provient pour une bonne part des flux fronta-  suivent pas cette accélération et même l’arrivée du Lé-
                          liers, oui aussi beaucoup de PME ont un pied en Suisse   man express ne suffira évidemment pas. Pour les ad-
                          et beaucoup de clients. Alors plutôt que de lancer de   ministrations françaises, il est de plus en plus difficile de
                          grandes phrases, ne vaudrait-il pas mieux travailler en-  faire venir et de maintenir des fonctionnaires sur place.
                          semble pour réfléchir sur les besoins locaux des deux   Le coût de la vie rend très difficile la vie en Haute-Sa-
                          côtés de la frontière ?                       voie pour ces catégories de travailleurs. Pourtant,
                                                                        au-delà de ces fameux effets pervers, la Haute-Savoie,
                          Nos entreprises vont avoir besoin d’une main d’œuvre   mais aussi ses voisins gessiens et genevois bénéficient
                          supplémentaire mais avec des qualifications différentes.   ensemble d’une situation privilégiée. La bonne intelli-
                          Il est évident que la formation sera la clef du dévelop-  gence voudrait que nous profitions de cette période
                          pement de nos régions. Dans un monde idéal, tous les   euphorique pour bâtir des bases solides pour un avenir
                          partenaires devraient se mettre autour d’une table pour   commun. Nos voisins utilisent parfois cette expression
                          se donner les moyens de développer des filières de   pour qualifier une situation qui va dans le bon sens :
                          formation transfrontalières. Malheureusement, l’expé-  « on dirait que le beau menace ». Faisons en sorte que
                          rience nous montre notre incapacité collective à appré-  le beau temps ne tourne pas à l’orage ! n  © GTE

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