Page 72 - L'Extension N° 66 / Octobre-Novembre 2018
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.bien-vivre/gastronomie
De la féra,
mais pas à n’importe quelle condition
Être locavore, c’est consommer des produits locaux et saisonniers et lutter, à l’échelle du citoyen, contre les dérives.
C’est également connaître l’histoire du terroir et des cultures, et comprendre la biodiversité… La tradition doit aussi s’adapter
aux changements pour permettre aux espèces de perdurer.
délicate qui est aussi le plus capturé de nouveaux défis. Certaines espèces
dans les eaux lémaniques. ont accusée, une baisse de rendement
Mais s’agit-il vraiment de féra du Léman ? très marquée notamment dans les
La dénomination est en réalité un peu années 1970 et début 1980 non seu-
usurpée car l’espèce s’est éteinte, lement à cause de la pêche intensive,
tout comme l’autre espèce indigène le fléau de tous les temps, mais aussi
du Léman, la gravenche, au début du l’eutrophisation. Depuis, des mesures
siècle dernier. Celle que nous pêchons de repeuplement et de protection de
aujourd’hui est une autre variété (coré- la faune aquatique (notamment le pre-
gone blanc), provenant des lacs de mier accord franco-suisse sur la pêche
Neuchâtel et Constance, introduite dès dans le Léman en 1980) régissent les
les années 1920 dans le Léman. On uti- méthodes de pêche pour prévenir l’ex-
lise malgré toute la dénomination ‘‘féra’’ tinction des espèces. Pourtant, l’équi-
autour du Léman ou du lac d’Annecy, libre de l’écosystème demeure délicat
mais celle de ‘‘palée’’ à Neuchâtel, ‘‘lava- et nous rappelle qu’il est bon de s’infor-
ret’’ du Bourget ou de Nantua, ou encore mer pour adapter nos petites recettes
‘‘albeli’’, ‘‘albick’’ ou ‘‘palchen’’ en Suisse et nos habitudes de consommation.
alémanique. C’est aussi ça, l’avantage des circuits
courts. n
uand on habite au bord UN ECOSYSTÈME
d’un lac alpin et que À PROTÉGER Sophie Barenne
l’on privilégie le terroir, « Il est présent à profusion, mais il sem-
la cuisine authentique, le blerait que les prises soient en diminu-
Q goût, la transmission, et tion », précise Laurent Cavallini, chef LA FÉRA ET LA PERCHE,
donc, les circuits courts, il est difficile des gardes dans le canton de Vaud. DES RENDEMENTS
d’incorporer spontanément du sau- Un constat suffisamment inquiétant À SURVEILLER
mon et de la dorade dans nos petits pour que la commission internationale
plats. Ce n’est pas être chauvin que de la pêche dans le Léman se penche Avec 736 tonnes de rendement,
de favoriser le local, d’autant que les sur la question pour en comprendre la féra est l’espèce la plus
poissons de notre région – truite, bro- les raisons et livre ses conclusions cet pêchée dans le Léman (contre
chet ou autre omble chevalier, sont automne. Il faut dire que l’histoire de la 192 tonnes pour la perche) mais
savoureux et suffisamment courants féra (la vraie) est suffisamment instruc- enregistre pour la troisième année
pour laisser aux bretons les poissons tive pour ne pas la reproduire. C’est consécutive une baisse sensible
de l’Atlantique. Franck Meyer, fidèle la pêche inconsidérée par l’emploi du (-99 tonnes). De son côté, la perche
bras droit de Michel Roth, de l’hôtel ‘‘grand pic’’, ce haut filet destiné à la voit son tonnage augmenter pour
Genevois ‘‘Président Wilson’’, étoilé capture, puis l’utilisation des coubles la première fois en cinq années © Jean Revillard / Rezo.ch • © Grant Symon
au guide Michelin, fourmille toujours (série de filets attachés les uns aux consécutives (+21 tonnes, soit 12%
d’idées et de recettes valorisant les autres) de plusieurs centaines de mètres d’augmentation par rapport à 2015).
ressources locales. Il nous invite, cette qui ont eu raison de la féra en 1920. (Rapport de la Commission
fois, à émoustiller nos sens avec la féra Et puis, dès les années 1950, c’est la internationale de la pêche dans
du Léman, ce poisson à chair fine et pollution des eaux qui nous a mis devant le Léman du 5 octobre 2017)
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