Page 54 - L'Extension N° 64 / Juin-Juillet 2018
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.écolonomie/interview
Bertrand Piccard :
« En écologie, je
suis pragmatique »
Bertrand Piccard, pilote et initiateur de Solar Impulse, a achevé en 2016 un tour
du monde de 18 mois en avion solaire, avec André Borschberg. Depuis, ce psychiatre
et aéronaute suisse milite activement pour le développement des énergies propres.
Rappelez-nous tout d’abord ce laboratoires de recherche. Le monde
qui vous a poussé à entreprendre politique n’en a pas conscience, et
le voyage Solar Impulse ? n’adopte pas une réglementation
Je voulais montrer que les technologies moderne. On tolère encore des choses
propres et les énergies renouvelables qui, technologiquement, ne devraient
Bertrand Piccard a peuvent accomplir des buts a priori plus l’être.
également réussi, impossibles. Solar Impulse était un outil
avec le pilote de crédibilisation pour faire passer un Votre vision de l’écologie est celle
britannique Brian message. d’une écologie en phase avec la
Jones, le premier réalité économique. Pourquoi ?
tour du monde en La création de la Fondation Solar Vous savez, à la base, je suis psychiatre.
ballon en 1999. Impulse était-elle votre objectif Je suis un pragmatique, totalement réa-
dès le départ ? liste. J’essaye d’adapter la protection
Oui. La deuxième phase, après ce tour de l’environnement au fonctionnement
du monde, est de sélectionner mille humain, plutôt que d’être complète-
solutions efficientes et rentables* pour ment utopique. Si on veut convaincre
protéger l’environnement. J’ai toujours quelqu’un, il faut parler son langage.
voulu que Solar Impulse soit un moyen Et le langage à utiliser aujourd’hui doit
pour motiver les gouvernements, des être celui d’une protection de l’envi-
entreprises, les médias, les institutions, ronnement rentable financièrement,
à voir les opportunités qu’il y a dans car rendue possible par l’apport de
la lutte contre les changements clima- l’industrie, de la technologie, et du
tiques et montrer les solutions. Si on monde politique. C’est pour cela que
parle des problèmes, on perd tout le je ne fais pas une écologie naïve dans
monde : cela crée plus de déprime que laquelle je dis qu’il faut baisser le niveau
d’espoir. de vie, la mobilité, qu’il faut moins de
confort, etc. Seuls 5 % de la population
Ce tour du monde monde a-t-il seraient d’accord, mais 95 % réticents.
modifié votre regard sur le Il faut au contraire montrer aux 95 %
changement climatique ? qu’on peut être logique et pas seule-
Il m’a montré que les technologies ment écologique. Aujourd’hui, le plus
existent aujourd’hui pour diviser par « Le langage à utiliser aujourd’hui grand marché industriel du siècle est
deux les émissions de gaz carbo- doit être celui d’une protection de remplacer les technologies et les
nique. Mais le problème, c’est que ces processus archaïques, inefficients et
solutions ne sont pas implémentées, de l’environnement rentable polluants, par de nouveaux systèmes
ni suffisamment connues. Elles restent financièrement. » efficients, rentables et qui protègent
souvent prisonnières de start-up ou de l’environnement.
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