Page 46 - L'Extension N° 64 / Juin-Juillet 2018
P. 46
[dossier/banques]
« Ne pas surestimer l’importance
du secret bancaire dans la capacité
des banques à faire du profi t »
Yves Genier
Journaliste économique
Dans son ouvrage La fi n du secret bancaire, il évoque l’origine
de cette pratique et les événements qui ont conduit à sa disparition. Entretien.
Pourquoi les banques suisses chasse aux avoirs nazis et aux avoirs sont préparés aux changements.
ont-elles adopté cette tradition en déshérence avait placé sous pression Mais d’autres n’ont toujours pas admis
du secret bancaire ? la Suisse. Le pays a payé une en leur for intérieur, encore aujourd’hui,
C’est une pratique très ancienne, contribution à la fi n de la Seconde Guerre que cette époque est terminée.
qui n’est pas propre aux banques mondiale, lors des accords de
suisses. Les banques ont toujours Washington, qui lui a permis d’alléger Et le pouvoir politique ?
fonctionné sur la base du secret des cette pression. Mais ce qui avait été Le monde politique suisse a toujours agi
affaires, comme d’autres entreprises. perçu à l’époque comme une solution sous la pression. Il n’a pas pris
Cette pratique s’est cristallisée au cours durable s’est fi nalement seulement révélé d’initiatives particulières. D’abord, il a
du XIX siècle, particulièrement vers la fi n, comme un report de la résolution du aligné sa position sur celle des banques,
e
lorsque les banques ont atteint un certain problème ! Dans le courant des années avec cette obstination à vouloir maintenir
stade de maturité et ont débouché 1960, les États-Unis, cherchant à envers et contre tout le secret bancaire
sur ce qu’elles sont aujourd’hui, avec combattre la criminalité organisée, alors que celui-ci, on le pressentait
les guichets, comptes de dépôt, l’octroi ont poursuivi les avoirs criminels. dans de larges milieux, était condamné.
de crédit, etc. En fait, cette pratique était Un premier accord de collaboration Les mesures d’adaptation de la Suisse
courante dans tous les pays européens. a été conclu au début des années 1970. ont ainsi été retardées de trois à quatre
La grande rupture, c’est la Première Mais les vraies offensives sont arrivées ans, entre 2009 et 2013. Ensuite,
Guerre mondiale. Les belligérants avaient à la fi n des années 1980, lorsque le monde politique helvétique a pris
besoin de beaucoup d’argent pour le gouvernement américain a cherché conscience de l’obligation d’aligner sa
fi nancer l’effort de guerre et ont contraint à neutraliser les réseaux de trafi quants politique et ses pratiques administratives
leurs banques à livrer les données de de drogue en traquant leurs butins. sur les règles internationales, donc il a fait
leurs clients, afi n de pouvoir les taxer. Sous la pression de Washington,
La Suisse n’étant pas partie prenante, la Suisse a alors instauré les normes
elle a maintenu la pratique du secret sur le blanchiment d’argent. Puis la
bancaire. À partir des années 20 et pression s’est déplacée sur le volet fi scal
surtout des années 30, la Confédération dès la fi n des années 90, encore
a réussi à imposer un cadre réglementaire sous l’impulsion américaine, avec En savoir +
aux banques, mais celles-ci ont toujours l’administration Clinton. Les Européens
réussi à sauvegarder la confi dentialité, sont venus juste après.
le secret sur les noms de leurs clients. La fi n du secret bancaire est paru
La Suisse s’est ainsi retrouvée l’un C’est vraiment après la crise de 2008, aux Presses polytechniques et
des quelques pays européens à maintenir quand les États-Unis et autres universitaires romandes en 2014.
une opacité absolue. puissances étrangères ont fait la Yves Genier tient également un
Yves Genier tient également un
chasse aux paradis fi scaux, que la blog dans lequel il s’intéresse aux
À partir de quel moment les États- Suisse a fi ni par accepter l’échange questions bancaires, fi nancières,
Unis et autres puissances étrangères automatique d’informations. Les fi scales et macroéconomiques,
ont commencé à mettre un peu de banques était-elles préparées ? ainsi que leurs conséquences
pression sur la Suisse ? Pas vraiment. Certains banquiers se (www.rhonestrasse.com).
Les pressions ont toujours existé. À la fi n rendaient bien compte que le secret
de la Seconde Guerre mondiale déjà, la n’avait pratiquement plus d’avenir et se
46 l’EXTENSION / JUIN 2018